Monique Deschaussée Billet du jour - Goudon Fonds

Il est nécessaire d'apprendre à lire une partition de façon à en pénétrer les secrets. Quand un compositeur écrit noir sur blanc ce qu'il sent, ce qu'il vit, ce qu'il a dans le cœur, il sait bien qu’en matérialisant par des signes l'Indicible, le langage secret de l’âme, il se perd en route cet Impondérable, ce mystère qui ne s'écrivent pas. Nous touchons là, au plan métaphysique de la musique.

L'interprète doit donc, devant une partition, faire le chemin inverse, retrouver ce qui s'est perdu en route, remonter à la source de l'inspiration.

Les notes sont comparables aux lettres d’un alphabet. En elles- mêmes, elles ne signifient pas grand’chose. Réunies, elles peuvent dire beaucoup. Comme les lettres s’allient en mots, les mots en phrases, les phrases en paragraphes, les paragraphes en chapitres, et les chapitres en un tout, il en est exactement de même pour le langage musical. C'est un langage organisé qui conduit à une grande variété de formes : formes aux structures précises qui permettent l'expression de tous les états d'âme. La musique réunit toutes les dimensions.

Il faut donc, avant de commencer à travailler, nous situer devant l'univers qui nous attend, sur tous les plans ; nous interroger sur sa forme, sur son contenu musical. Il est évident que si l'on ne connaît pas la construction d'une sonate ou d'une fugue, rien ne sert d'avoir travaillé le texte. C'est une aberration, une ignorance qui relève de l'amateurisme plus ou moins improvisé.

Parallèlement au travail pianistique, il est donc indispensable pour celui qui aspire à être professionnel de travailler la musique sous tous ses aspects : analyse des formes, des structures musicales, analyse harmonique, évolution du langage musical, les éléments qui ont inspiré ce langage … Encore faut-il qu'ils nous servent à aller à la découverte d'une œuvre au lieu de rester à un stade intellectuel sans rapport avec une partition.

En musique, de même que dans une langue, les mots, les phrases sont complétés par une ponctuation qui en transforme parfois le sens. Les points, les virgules, les points virgules, les points d'exclamation, d'interrogation, toute la ponctuation est présente dans une partition.  Elle se traduit par les cadences, les silences, les phrasers, par tous les signes autres que les notes. Sachons pénétrer au cœur du mystère justement par ces signes.

Comment construire une œuvre musicale si l'on ne se base pas déjà, dès son approche, sur les cadences ? Nous devons savoir que chacune d'elles possède une signification expressive.  Une cadence parfaite conclut, une cadence rompue crée la surprise, une demi-cadence l’attente ou l'interrogation : d'une dominante, on peut en effet aller n'importe où, se tourner même vers des horizons lointains.

L'harmonie nous fait pénétrer au centre même de l'œuvre, sur le plan de sa construction, de son architecture, mais aussi sur celui de l'expression pure. Une tonalité majeure qui comporte six  ou sept dièses va engendrer la lumière, la joie, l'espoir ; une totalité mineure en bémols le drame, la tristesse, l'angoisse. Et je prends là des cas extrêmes. Mais que de subtilités à capter dans les modulations ! Comment ne pas les percevoir si notre sensibilité est en éveil ? Elles traduisent les mouvances de l'âme. Elles sont la vie même, avec son contingent de sentiments divers.

Quant aux silences en musique, sachons les découvrir, les écouter. Ils sont parfois plus expressifs que les notes qu'ils viennent interrompre. Respiration ? Question ? Attente ? Le silence est souvent un supplément d'émotion et non un arrêt simple. Les silences qui sont sur les temps deviennent actifs.

Il est indispensable de donner aux silences toute leur valeur d'expression.

Apprenons aussi à vivre les nuances ; ne pas jouer un « piano » ou un « forte » parce qu'ils sont écrits, mais comprendre qu'ils sont là précisément parce qu'un état d'âme les a inspirés. Les nuances sont des indices étonnants de l'évolution d'une pensée ou d'un sentiment.

Et la pulsation de la musique ? Et sa respiration ? Pour que la musique vive, il faut qu'elle ait un cœur et des poumons : deux organes essentiel à la vie.

Le cœur de la musique, c'est son rythme : un rythme profond qui engendre une pulsation. On doit entendre battre le pouls de la musique. Dans la vie, même lorsque nous rêvons, même lorsque nous dormons, notre cœur continue à battre ; l'arrêt du cœur représente la mort, dans la vie comme en musique

Quand on commence à jouer, cette pulsation intérieure doit s'installer en nous et ne jamais cesser, même pendant les valeurs longues ou les silences. Ce rythme se vit à l'intérieur du corps, dans les centres nerveux.

Les poumons de la musique sont sa respiration bien entendu. À combien de temps respire le rythme ?

…..

Nous devons savoir combien de temps comporte une mesure et nous rappeler ce que signifient les paroles « fort » ou « faible » en ce qui concerne les temps, car c'est de cette alternance que naît la respiration….

« L'homme et le piano » de Monique Déchaussées

 


Une lettre de Dinu Lipatti

Une lettre...

Un jour, Lipatti reçut une lettre provenant d’Afrique du Sud. Un jeune pianiste, élève d’un Conservatoire, demandait humblement un conseil : comment concilier les droits et les devoirs de l’interprète vis-à-vis d’une œuvre ?
Soucieux d’alimenter la flamme de la musique partout où elle se devinait – il avait accepté ses dons comme une responsabilité, comme une richesse qu’il avait le devoir de répandre – Lipatti répondit avec la gravité qui marquait tous ses actes.
Voici cette réponse, admirable profession de foi, qui nous donne comme un portrait de son âme.

« Notre vraie et seule religion, notre seul point d’appui, infaillible, est le texte écrit. Nous ne devons jamais être pris en faute envers ce texte, comme si nous avions à répondre de nos actes sur ce chapitre chaque jour, devant des juges implacables. 
« Etant donné ce tribunal suprême que nous instituons de notre propre gré afin de protéger ce que nous considérons comme
« notre foi », « notre évangile » le texte écrit, il faut l’étudier, l’assimiler, le confronter dans plusieurs éditions et finalement en dégager l’image qui correspond le plus fidèlement à la pensée initiale.
« Une fois ceci bien établi, nous ne devons pas oublier que ce texte, pour vivre de sa propre vie, doit recevoir notre vie, à nous, et pareillement à une construction, il faudra, sur la carcasse en béton de notre scrupulosité envers le texte, ajouter tout ce dont une maison a besoin pour être finie, c’est-à-dire  : l’élan de notre cœur, la spontanéité, la liberté, la diversité de sentiments, etc…
« Casella dit quelque part que les chefs-d’œuvre ne doivent pas être respectés, mais aimés, car on ne respecte que les choses mortes et un chef-d’œuvre est une chose éternellement vivante.
« La plupart des virtuoses ne réussissent pas à faire fusionner dans leurs interprétations les deux attitudes fondamentales citées plus haut ; ils jouent exactement ce qui est écrit, mais sans aucun apport personnel (et dans ce cas on quitte le concert quelquefois ébloui, mais jamais heureux), ou bien ils prennent l’œuvre comme prétexte à extérioriser leur propre fantaisie et, faisant bon marché des indications de l’auteur, négligent totalement le vrai sens que celui-ci a donné à sa musique, en employant dans leur exécution, à tort et à travers, l’élan de leur cœur, la spontanéité, la diversité de sentiments, etc,., qui dans ce cas, loin de meubler avantageusement la maison, ne font que défigurer irrémédiablement l’œuvre, puisque l’interprétation ainsi conçue n’a aucune base saine à son départ.
« Quelle est cette base de départ ? Elle consiste en quelques lois fondamentales de la musique, dont les plus importantes sont, hélas ! les plus négligées par la plupart des interprètes, à savoir :

  • Le solfège, spécialement le solfège rythmique ;
  • L’appui sur les temps faibles (s’appesantir et souligner le temps fort est une des plus graves erreurs en musique, puisque celui-ci n’est qu’un rebondissement vers les temps faibles, qui eux ont le vrai appui).
  • L’ignorance par certains pianistes des ressources immenses que peut apporter l’indépendance dans la même main entre différentes attaques et touchers, donc entre différents timbres. En obtenant cette indépendance, l’interprétation prend tout à coup un relief inattendu et le jeu du pianiste reflète la plasticité et la diversité d’une exécution orchestrale.

Celui qui n’a absolument rien à se reprocher envers la pensée de l’auteur peut prendre, en jouant, toutes les libertés, exactement comme une personne très bien élevée peut se permettre en société tous les propos et toutes les attitudes.
« Mais si, par malheur pour lui, l’exécutant ignore ou déforme volontairement les lois fondamentales d’une œuvre, alors, il ne lui sera permis aucun apport personnel ni aucune liberté, pareillement à un être sans éducation qui restera toujours vulgaire, même s’il se garde de prendre la moindre liberté de langage ou d’attitude.
« La musique doit vivre sous nos doigts, sous nos yeux, dans nos cœurs et nos cerveaux avec tout ce que
nous les vivants, pouvons lui apporter en offrande. »

Dinu Lipatti


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